Cette lettre préface a été publiée dans Le triomphe de la Marseillaise de Louis de Joantho, ouvrage publié en 1917. Ferdinand d'Orléans, qui se disait duc de Montpensier, prince faible - il buvait, se droguait, et dépensait sans compter - qui aurait pu succéder à son frère le Prince Gamelle - grand ami du Kaiser Guillaume II - s'il n'était pas mort d'une overdose en 1924, fait ici allégeance à la révolution, au modernisme et à la république. Certes il exalte la lutte des Poilus, mais d'une manière si orléaniste,pleine de faiblesse pour la révolution (et de haine pour la droiture du Comte de Chambord) qu'elle en est dégoûtante.
Lettre préface de son Altesse Royale monseigneur le duc de Montpensier
Paris, le 1er mars 1917
Mon cher Joantho,
Vous me demandez de donner une préface à vos intéressantes études sur la Marseillaise, oui, certainement, en vous félicitant et en vous remerciant .
En vous félicitant, car nulle pensée n'est plus opportune, en ce moment, que celle qui porte à exalter notre glorieux chant de guerre ; et en vous remerciant, car vous me fournissez l'occasion d'en dire, moi aussi, tout le bien que j'en pense. C'est d'ailleurs sur mon désir, sous mon inspiration, que votre triomphe de la Marseillaise a été écrit. Je pensais que notre chant national, au moment où il conduisait nos troupes à la victoire, méritait un hommage spécial.
Exalter la Marseillaise à l'heure où tant de prodiges s'accomplissent sous son ardent appel, c'est bénéficier de la plus heureuse des coïncidences.
J’ai toujours, dès ma plus tendre enfance, beaucoup aimé la Marseillaise. Je ne me souviens pas qu’autour de moi on y ait jamais porté obstacle… au contraire.
Mon arrière-grand-père, le duc de Chartres, plus tard Louis-Philippe, chantait la Marseillaise à Jemmapes, et la Marseillaise, de l'aveu de tous, contribua puissamment à la victoire. Son frère, le duc de Montpensier la chantait aussi, alors que, d'après l'intéressant récit de Lamartine, la poudre et le sang sillonnaient son visage d'adolescent.
C'est le roi Louis-Philippe qui donna la Légion d'Honneur à Rouget de Lisle et qui, de ses ressources personnelles, alors qu'il était encore le duc d'Orléans, arracha au malheur immérité le poète à jamais glorieux.
Parmi les souvenirs de mon enfance, je conserve celui d'une gravure représentant le roi, mon aïeul, chantant encore la Marseillaise avec le peuple au balcon du Palais-Royal.
Je n'ai jamais entendu la Marseillaise sans éprouver ce frisson spécial que seul procure les choses prédestinées ; mais maintenant, je fais plus que l'aimer, je la vénère, d'une vénération attendrie et reconnaissante.
Qu'est-ce qui serait possible désormais en vérité, comme hymne national, en dehors de la Marseillaise ? quels que soient les événements, quelles que soient les destinées ?
Si quelqu'un connaît mon culte pour la mémoire de mon glorieux aïeul Henri IV, c'est bien vous, qui m'avez, il y a quelques mois mené en pieux pèlerinage, auprès de son berceau. Mais malgré tout, et quand même, serait-il possible, quelques puissent être la succession des événements, d’hésiter entre le Vive Henri IV et la Marseillaise ?
Le glorieux Béarnais, délicieusement spirituel, plein de bon sens, de souplesse, s'il était consulté, déclarerait que la question ne saurait être posée et y répondrait en entonnant la Marseillaise.
Vous rappelez-vous, il y a six ans de cela, nous étions à la campagne, dans un pavillon de chasse aux environs de Paris ? Vous étiez un peu découragé, et vous veniez de me faire l’aveu que votre vie publique était à jamais finie, que vous ne vouliez plus entendre parler de politique…
Le soir après dîner, je fais jouer dans le jardin la Marseillaise par une petite musique villageoise, et je me souviens que vous me dites : « Ah ! Monseigneur ! Nous faisons de la politique ! » je vous répondis aussitôt : « Jouer la Marseillaise n'est pas faire de la politique, c'est affirmer son patriotisme », et je me rappelle même le plaisir que nous ressentîmes tous les deux en voyant s'harmoniser nos idées dans l'interprétation de l'hymne qui devait plus tard aider nos héros à faire la trouée vengeresse par où doit passer la victoire.
La Marseillaise était dans la pensée de mon père et de mes oncles.
Je pense que ma mère, Madame la comtesse de Paris, ne m'en voudra pas si je rappelle que le 9 septembre 1913, quand elle voulut bien venir fêter avec moi l'anniversaire de ma naissance au Carlton hôtel de Londres, un orchestre joua la Marseillaise en mon honneur, et elle en fut ravie. Vous preniez part à ce déjeuner.
Dans mes nombreux voyages à l'étranger, dans mes nombreux tours du monde, chaque fois qu'on a voulu me fêter, m'accueillir avec quelque solennité on a joué la Marseillaise, et si j'avais insinué, moi Français, que je répudiais la Marseillaise, on ne m'aurait pas compris parce que partout, à travers le monde, la Marseillaise est considérée comme l'hymne de la France.
Et on voudrait qu'un prince français rentrant en France répudiât ce qu'il a considéré à l'étranger comme l'écho vivant de la patrie absente !!?
Je n'ai pas retrouvé sans émotion, dans un des chapitres de votre livre, le souvenir évoqué par M. Maurice Barrès de ses glorieux poilus, assistant à la messe dans les tranchées, et qui, à l'offertoire, ignorant toute prière, ignorant tout chant liturgique, ignorant même tout cantique, entonnèrent pieusement la strophe sublime : « Amour sacré de la patrie ! »
C'est surtout sur la terre étrangère, loin de France qu'on est saisi par un frisson spécial, lorsque les strophes de la Marseillaise devenant tour à tour une invocation, une exhortation, un champ de guerre, une ardente prière, se font entendre.
Cette émotion est presque d'une essence religieuse. Après la religion du Christ, il n'en est pas de plus belle que la religion de la Patrie.
J'ai appris la déclaration de guerre à Yokohama. Quelques jours après, je traversais le Pacifique et j'arrivais à San Francisco, où je pris mes dispositions en vue de mon prochain retour en France. A l'hôtel, où nous étions descendus, nous commentions avidement les télégrammes venant d'Europe, lorsque soudain un orchestre dissimulé dans un massif de feuillage exécuta la Marseillaise. Jamais le champ de Rouget de Lisle ne m'avait apporté une telle émotion ! Nous nous découvrîmes, mes compagnons et moi, et nous écoutâmes, avec un respect attendri, les strophes immortelles !
En ce moment, la Marseillaise était vraiment pour moi une prière, et je pensais : « Dieu tout-puissant, Dieu juste, toi qui a voulu que ce doux et beau chant de France fut créé par mes ancêtres, tu ne permettra pas qu'il devienne la proie des barbares ; et, quel que soit le régime, quel que soit les bergers, tu rendras ma patrie à ses anciennes destinées, à sa grandeur, à sa gloire, aux accents de l'hymne sacré, sous le souffle puissant de la Liberté !...»
J'admire et je vénère la Marseillaise en France, mais encore une fois, comme cette admiration, comme cette vénération revêtent un caractère spécial, quand j'entends la Marseillaise à l'étranger !
Quelques jours après, à New York, la veille de mon départ pour la France, j'avais été passer ma soirée à l'Hippodrome. Je n'avais certes pas le cœur au spectacle, aux exhibitions, ma pensée était ailleurs ; mais si je m'étais rendu à l'Hippodrome, c'est que je savais que la Marseillaise devait y être exécuté dans des conditions grandioses de solennité. En effet, un orchestre puissant, des cœurs nombreux exécuter l'hymne de Rouget de Lisle. J'étais perdu dans la foule. L'entraînement, la séduction, le prestige fascinateur, étaient tels, que six mille personnes d'origines variées, de nationalité différente, acclamèrent avec enthousiasme l'hymne français, qui est en même temps le chant de la liberté des peuples, de l'indépendance des nations.
C'est à peine si cinquante abstentionnistes, restés assis, manifestaient leur indifférence, sinon leur hostilité. Ils furent tellement hués par la foule, qu'il se levèrent aussi, et je considérais ce spectacle avec une émotion indicible, avec fierté comme dans un éblouissement !
« Amour sacré de la Patrie ! »
Dans ces circonstances, après cette dernière solennité, je pus réussir à analyser mes impressions. J'insiste encore une fois sur ce point, mon cher ami, et je dis que si la Marseillaise est douce à entendre chez nous, l'effet qu'elle produit loin de France sur l'âme française, surtout aux heures d'angoisse nationale, est un saisissement, une poussée vers les pensées supérieures, vers l'idéal de la patrie, dont je me déclare inhabile à exprimer la force et la triomphante beauté.
Il serait puéril, à mon sens, de s'efforcer davantage à faire comprendre des vérités pour la glorification desquelles s'accordent si manifestement la raison et le sentiment.
Saluons la Marseillaise, respectons-la, vénérons-la, aimons-la, et surtout remercions-la. C'est avec elle que les chefs de notre armée ont préparé la résistance, c'est elle qui nous mènera au salut et à la délivrance.
Sur mon inspiration, vous avez fait, il y a quelques mois, à Biarritz, devant mille glorieux blessés, une conférence sur la Marseillaise. Ceux qui venaient de verser leur sang pour la défense de nos foyers en ont chanté les refrains, et quand vous avez proclamé, sur mon ordre, que la Marseillaise était à jamais l'hymne de la Patrie, le chant de la délivrance et celui de la Liberté, vous avez été acclamé par moi, par les plus hauts fonctionnaires du département, par des membres du Parlement et par les divers éléments sociaux qui se trouvèrent réunis dans la salle de la « Croix de Lorraine ».
Quand j'ai vu cette unanimité dans les acclamations, quand j'ai constaté par moi-même, par la fièvre qui s'emparait de la salle, qu'il n'y avait pas une seule note discordante, j'ai compris que ma pensée était vraiment une pensée bien française, bien populaire, et je me suis félicité de tout mon cœur de ma fidélité au culte que j'eus toute ma vie pour l’œuvre de Rouget de Lisle.
C'est donc avec le plus grand plaisir, mon cher ami, que j'écris la préface que vous me demandez.
Vous savez que je vous approuverai et que je vous encouragerai, au nom de la Patrie, chaque fois que vous exalterez les souvenirs de grandeur et de gloire de la Monarchie qui a créé notre unité nationale, et à laquelle nous devons d'avoir cette Patrie.
Respectons donc toujours une tradition, dont nul n'est plus fier que moi ; mais inclinez-vous aussi devant la réalité des choses, devant l'implacable logique des événements et des faits. Que tous les bons Français se pénètrent de cette pensée que les torrents ne remontent jamais vers leur source, et que vos paroles et vos écrits soient le reflet des aspirations libérales et démocratiques de la France moderne.
Je ne fais pas de la politique en disant cela, ou pour mieux dire, je n'en fais que dans la mesure exigée par l'expression de mon patriotisme et le sentiment de mon devoir !
Les héros, les vaillants appartenant à toutes les classes de la société, les enfants du peuple qui, plus heureux que moi, ont souffert dans les tranchées, qui ont vécu dans le sacrifice et les privations, qui ont fait une muraille de leur poitrine en face des barbares envahisseurs et qui ont sauvé la France, auront autorité pour parler.
Que diront-ils ? Je l'ignore, mais ce que je sais, ce qu'on ne peut oublier, ce qui ne s'oubliera jamais, c'est qu'ils auront marché à la victoire aux accents de la Marseillaise.
J'en conclus que la Marseillaise doit vivre autant que vivra la France. Ce qui est une façon indirecte de penser, de proclamer, que la Marseillaise est immortelle.
Ferdinand duc de Montpensier
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