Une devise ne surgit pas du néant. Elle tient toujours compte d’une tradition où la littérature, l’histoire, les évènements politiques et religieux s’entremêlent dans des relations enchevêtrées qui restent incompréhensibles si l’on examine pas à fond la complexité et les multiples aspects du milieu intellectuel, artistique, diplomatique, historique et religieux où le motto et la figure ont été conçus. Lorsque le Roi Louis XX a déclaré : « Cet immense héritage fait accepter les différences des uns et des autres dès lors que tous se retrouvent sur un projet d’avenir partagé. Il a nom : Royaume, Couronne, État. Chaque génération l’a adapté. A la nôtre de le faire en s’appuyant sur les familles. » Qui peut croire que dans sa bouche « Royaume, Couronne, Etat » serait une devise de la royauté ? Voilà une interprétation totalement erronée de la parole du Roi. Ceux qui veulent propager cette erreur cherchent à contrer la prétendue devise royaliste « Vérité, justice, modération » que propagent les orléanistes. Mais encore une fois, en accusant les orléanistes de mensonge, de falsification de source et de forgerie, ils ont pour le coup absolument tort car oui, cela vient bien de la reine Marie-Thérèse de France, fille de Louis XVI, épouse de Louis XIX, et on peut facilement en trouver la source. Il faut cependant reconnaître que ce n’est pas présenté sous la forme d’une devise.
Identité visuelle de la république française créée sous le gouvernement de Lionel Jospin
Devise orléaniste modèle 1
Devise orléaniste modèle 2
D’où vient cette devise « vérité, justice, modération » ? Il faut bien le dire, les orléanistes ne le savent pas vraiment en parlant d’une lettre de Madame Royale au Comte de Chambord. C’est faux. Mais en 20 seconde en cherchant dans gougueule livres les termes « Comte de Chambord vérité justice modération" je suis tombé sur un article du journal légitimiste « L’Ami de la Religion et du Roi » vol. 154, 1851[1], qui publiait le testament de Madame Royale fille de Louis XVI qui déclare : « Ayant toujours considéré mon neveu Henri et ma nièce Louise comme mes enfants, je leur donne ma bénédiction maternelle. lls ont eu le bonheur d'être élevés dans notre sainte religion, qu'ils lui restent constamment fidèles, qu'ils soient toujours les dignes descendants de saint Louis ! Puisse mon neveu consacrer ses heureuses facultés à l'accomplissement des grands devoirs que sa position lui impose ! Puisse-t-il ne s'écarter jamais des voies de la modération, de la justice et la vérité ! » La recherche a été si simple qu’on se demande encore comment on peut gloser sur les devises sans avoir songé à la faire !
Voilà l’origine de cette prétendue devise. Les paroles de la Reine Marie-Thérèse sont belles et émouvantes, mais pourquoi en faire la devise du Royaume ? A-t-on jamais eu l’idée d’en faire une telle devise avant que l’esprit perfide d’un orléaniste ne trouve tous les avantages au terme de « modération » qui pour eux, loin d’évoquer la magnanimité des rois ou leur esprit de concorde, ne leur rappelle que la meilleure des républiques, leur désir de couronner celle-ci dans leur volonté de soumettre les royalistes à toutes les idéologies nées du modernisme. Cette volonté est bien marquée par la figure platreuse de Marianne (qui plus est avec bonnet phrygien) qu’ajoutent certaines pages orléanistes au motto “vérité - justice - modération” qui ne laisse aucun doute sur leur volonté de couronner la république et de perpétuer le système actuel en substituant un usurpateur au président de la république.
Fausse devise du royaume avec figure de Marianne trouvée sur un blog orléaniste bien connu.
Cette intuition se démontre facilement. En effet, dans une lettre de décembre 1850 adressée au duc de Noailles, Henri V écrit : “ Telles ont été dans tous les temps, mon cher Duc, et telles sont encore mes dispositions et mes vues. En toute rencontre je les ai hautement proclamées; je n'ai rien négligé pour les inculquer à mes amis, et si dans une circonstance récente j'ai manifesté le désir de leur imprimer une direction, c'était justement pour faire prévaloir parmi eux cet esprit de modération et de conciliation qui convient à la cause de l'ordre, de la justice et de la vérité. Je continuerai à marcher dans cette voie. Je saisirai toutes les occasions de dire ce que je veux, et j'espère que le jour n'est pas loin où, malgré les clameurs de la malveillance et de la passion, tous les hommes raisonnables de tous les partis sauront, ce que vous savez vous-même depuis longtemps, que je n'ai qu'une pensée, une intention, une volonté, c'est de servir la France et de me dévouer tout entier à son bonheur.” Ordre, justice, vérité ce pourrait être la devise de ceux qui sont pour l’ordre naturel, le respect des lois fondamentales et le respects des vérités de la nature et de la tradition, c’est une devise légitimiste, mais Henri V, s’il était attaché à ces principes n’en a jamais fait la devise de sa royauté. La modération et la conciliation prônées par Henri V ne sont pas du modérantisme coupable, loin de là ! Ce sont les valeurs de paix, de magnanimité, de piété, de justice et d’humilité qu’on toujours défendu les Rois Très Chrétiens.
Revenons en à « Royaume, couronne, État » et démontrons que ce n’est pas une devise et que ce n’est pas comme devise que le Roi l’a prononcé. Petite explication de texte : Il est très clair que le sens du texte du roi est le suivant « Dans la succession des temps, tous les Français ont travaillé pour le Bien commun, on lui a donné des noms différent selon les époques, il y a eu le terme de royaume, le terme de couronne, celui d’État, chaque génération a pris le sien, mais toutes ont voulu œuvrer au bien commun, à nous d’agir de la même façon, peut être en usant d’un autre terme (Restauration ???) ou en reprenant ceux qui sont issus de la tradition. »
Mauvaise "devise". Elle reprend le visuel orléaniste qui reprenait déjà "l'identité visuelle de la république française", mais en oubliant deux lys.
Dans tous les cas, ces deux devises ternaires ne sont que des imitations du triptyque « liberté, égalité, fraternité », on croirait qu’on veut copier les républicains. Adoptons aussi un tricolore à fleurs de lys et un couplet pas trop violent de la Marseillaise pendant qu’on y est !
Qu’ils se rappellent ces innovateurs que les armées catholiques et royales de Bretagne et de Vendée avaient pour devise « Dieu et le Roi », mais aussi que pour « l’internationale blanche »[2] du légitimisme du XIXe siècle, au premier rang desquels figurent les Carlistes et les Bourbonnistes Napolitains ainsi que les Français venus les soutenir (sans parler des défenseurs du Pape que furent les Zouaves Pontificaux) la devise était bien « Dieu, Patrie, Roi ». On me dira « Dios, Patria, Rey ? Mais c’est une devise étrangère ! » Quelle erreur ! Dès la Restauration, sous le règne de Louis XVIII, on trouve des textes qui invoquent ces principes, et on les voit encore sur une médaille d’Henri V ou sur un drapeau de ses partisans en 1871[3].
Sous l’Ancien Régime, chaque roi adoptait sa propre devise, ils pouvaient en changer ou en utiliser plusieurs. Les exemples sont souvent bien connus, celle de Louis XIV : « Nec pluribus Impar » ou celle utilisée par Henri III et un temps par Henri IV « Manet ultima coelo ». Les exemples sont nombreux, « Nutrisco et extinguo » pour François Ier, « Donec totum impleat orbem » pour Henri II, « unus non suffit orbis » pour François II, la magnifique devise « Pietate et Iustitia » de Charles IX, « Duo protegit unus » de Henri IV, « Erit haec cognita monstris » de Louis XIII, etc. Pour les légitimistes du XIXe, si une parole d’Henri V pouvait servir de devise, ce n’est pas celle bien plate qu’on cherche à créer côté Orléaniste, mais « La parole est à la France et l’heure est à Dieu » que l’on retrouve sur ses médailles et sur les croix des partisans du Comte de Chambord.
Devise du temps de Henri III (1577)
Devise du temps de Henri III (1577)
On pense aussi à « Lo que a de ser no puede faltar » « Ce qui doit arriver ne peut manquer », cette devise inscrite sur la porte du château de Coarraze où Henri IV passa une partie de son enfance.
Ce qui ressemblait le plus à une devise non pas du roi, mais du royaume, ce sont les devises les plus courantes qui figuraient sur les monnaies : « Domine Salvum Fac Regem », « Benedictum sit Nomen Domini » et « Christus vincit, Christus regnat, Christus Imperat ».
Sur les grandes armoiries du Royaume on pouvait aussi trouver "Lilia non laborant neque nent" qui provient de l'Évangile selon Saint Mathieu, et "ex omnibus floribus elegi mihi lilium" qui trouve sans origine dans la Bible, plus précisément dans le livre d'Esdras, devises qui viennent rappeler le caractère particulièrement saint et sacré du Royaume de France. Peut-être ces devises sont elles trop catholiques, ou trop ultras aux yeux de certains ! Il est vrai que la première figurait sur les monnaies de Charles X, c’est peut être un problème pour ceux qui nous traitent d’ultras, mais pas pour nous. Cette devise c’est celle du triomphe de la contre-révolution sur la révolution satanique comme l’indique si justement Joseph de Maistre dans ses Considérations sur la France : « Mais si le christianisme sort de cette épreuve terrible plus pur et plus vigoureux ; si Hercule chrétien fort de sa seule force, soulève le fils de la terre, et l’étouffe dans ses bras, patuit Deus. — Français ! faites place au Roi très-chrétien, portez-le vous-mêmes sur son trône antique ; relevez son oriflamme, et que son or, voyageant encore d’un pôle à l’autre, porte de toutes parts la devise triomphale :
LE CHRIST COMMANDE, IL RÈGNE,
IL EST VAINQUEUR »[4]
Pour conclure, drapeau, cocarde, devises ou que sais-je encore, toutes ces choses, sauf les armes d’azur aux trois fleurs de lys qui viennent du Ciel, toutes donc sont à la discrétion du roi. C’est cela qu’entendait le Comte de Chambord d’après le compte rendu de M. Chesnelong des audiences accordées par Henri V lors de son séjour à Salzbourg en 1873 : «En ce qui touche la question du drapeau … Monsieur le Comte de Chambord … respecte le sentiment de l’armée pour un drapeau teint du sang de nos soldats ; il n’a jamais été étranger aux gloires et aux douleurs de la patrie ; il n’a jamais eu l’intention d’humilier ni son pays, ni le drapeau sous lequel ses soldats ont vaillamment combattu. Ses résolutions se formulent dans les deux points suivants : 1 - Monsieur le Comte de Chambord ne demande pas que rien soit changé au drapeau avant qu’il ait pris possession du pouvoir. »[5] Mais bien sûr, s’en tenir au pragmatisme du Comte de Chambord, voire de Louis XVIII, ce n’est sans doute pas être un bon légitimiste selon ces innovateurs.
"Trône" du Comte de Chambord au château de Chambord, offert par des Français fidèles.
Nous avons reçu le drapeau blanc en dépôt sacré de nos prédécesseurs, nous militons pour le roi sous ses plis, mais nous ne lui imposerons ni cet emblème sacré, ni une devise imitée de pratiques républicaine ou forgée par l’incapacité à comprendre les propos du roi. Il y avait une ou plusieurs devises pour chaque roi, mais il n’y a pas de devise du royaume en dehors des invocations religieuses latines évoquées plus haut. Drapeau national, hymne national, devise nationale, toutes ces choses sont des créations post-1789, chercher à en créer en dehors de nos symboles traditionnels (lys, drapeau blanc, etc) ou en méconnaissant la volonté du Roi où en se trompant sur ses propos et ce, dans le seul but de singer la république, serait donc une grave erreur.
Montjoie ! Saint-Denis !
Louis de Lauban
[2] Alexandre Dupont, Une internationale blanche. Histoire d'une mobilisation royaliste entre France et Espagne dans les années 1870, Paris, Éditions de la Sorbonne, coll. « Internationale », 2020, 420 p., ISBN : 979-10-351-0535-8.
[4] Joseph de Maistre, Considérations sur la France, chapitre V.
[5] Revue du monde catholique, Tome 38, 1873, p. 54
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